À l’occasion de la publication de l’étude réalisée pour l’agence digitale chinoise Hylink sur les tendances et les habitudes de consommation de la génération Z en Chine, Yuan Zou, Directrice Luxe et Mode de Hylink pour l’Europe, nous apporte quelques éclairages passionnants sur l’interprétation de ces données et les pistes qui peuvent s’en dégager pour les annonceurs occidentaux.
Les chinois de la GenZ sont attirés par des solutions technologiques, robots, systèmes d’identification AI. En termes de e-marketing, cela permet des solutions beaucoup plus innovantes, mais aussi plus agressives. En Occident, on se méfie de tels systèmes pour des raisons de respect de la vie privée. Pensez-vous que les jeunes chinois ont une attitude aussi différente et si oui, comment l’expliqueriez-vous ?
Il faut comprendre que les chinois ont grandi dans un contexte culturel complètement différent. Les GenZ ont grandi dans une société communautaire, sous un régime communiste, dans laquelle la confidentialité et les datas personnelles n’ont pas le même sens qu’en Occident. Les nouvelles technologies et l’internet ont généré un confort extraordinaire, depuis la prise d’un rendez-vous chez le médecin jusqu’à l’accès à tous les produits de consommation. Tout cela n’était pas disponible auparavant. Ils acceptent sans arrière-pensée de céder un peu de vie privée pour bénéficier de tous ces avantages. Cela peut paraître un sacrifice du point de vue occidental, ce n’est pas le cas pour les chinois.
Pensez-vous que la Chine soit, pour certaines grandes marques, un terrain d’expérimentation de ces innovations ? Quel feedback vous donnent-elles de ce type d’expériences ?
Les marques occidentales qui communiquent en Chine exploitent naturellement tout le potentiel qui y existe. Mais elles ne le font pas avec l’objectif de le reproduire ailleurs, tant il est souvent difficile de s’imaginer que ce qui fonctionne en Chine pourrait fonctionner sur d’autres marchés. WeChat en est un bon exemple, qui n’a pas réussi à pénétrer d’autres marchés que la Chine. Beaucoup d’applications ont été spécifiquement développées pour le marché chinois, mais elles n’ont aucune valeur pour le marché européen, par exemple. Si certaines grandes marques expérimentent des idées ou déploient des campagnes très innovantes en Chine, elles ne les adaptent que très exceptionnellement dans d’autres pays. En revanche, c’est certainement une source d’inspiration.
Les habitudes de consommation de la GenZ en Chine semblent marquées par une grande liberté d’agir et beaucoup de créativité. La Suisse est pour sa part un pays beaucoup plus conservateur, où la discrétion est une qualité. Cela se ressent dans les marques helvétiques, spécialement dans les produits de luxe. Comment, selon vous, les marques suisses doivent-elles se positionner sur cette cible en Chine ?
Dans le segment haut de gamme, le secteur horloger est certainement celui qui est le plus fortement associé à la Suisse, y compris en Chine. Les montres haut de gamme sont en revanche perçues d’une façon très différente que les autres produits de luxe, comme les accessoires ou la maroquinerie. L’horlogerie touche principalement les consommateurs masculins, même si les femmes commencent peu à peu à s’y intéresser. Si, autrefois, l’achat d’une montre était essentiellement destiné à faire un cadeau, cela n’est plus le cas maintenant, surtout depuis la mise en application des lois anti-corruption. Les marques les plus anciennes, présentes sur le marché chinois depuis longtemps, souffrent un peu de cette image péjorative. En revanche, pour les marques plus récentes dont la notoriété est moindre, c’est plus facile. On peut se sentir fier de porter une montre de valeur, que les autres personnes ne reconnaîtront pas forcément.
C’est presque un paradoxe: pour vendre une marque, il faut qu’elle soit connue. Mais celui qui l’achète ne veut pas qu’elle soit reconnue. Comment résoudre cette équation ?
Ce n’est pas le cas pour toutes les marques. Pour des marques un peu moins chères, ce problème n’existe pas. Pour certaines marques moins connues, mais qui présentent des caractéristiques technologiques particulières ou qui offrent des éditions limitées, le potentiel auprès des jeunes existe, car ces derniers sont attirés par l’innovation.
Les jeunes ont-ils les moyens financiers d’acquérir de tels biens ou font-ils d’énormes sacrifices pour s’acheter un produit de grande marque ?
Les consommateurs qui acquièrent des montres haut de gamme sont plutôt des « nouveaux riches ». Il y a en Chine beaucoup d’entrepreneurs qui ont connu très tôt un grand succès, notamment dans des start-ups. Le phénomène 2e génération est aussi important: les parents qui ont eu du succès et qui ont fait de l’argent gâtent très tôt et très généreusement leurs enfants. La politique de l’enfant unique conditionne aussi cet état d’esprit, car on n’attend pas l’héritage pour transmettre une partie de sa fortune à son enfant.
Une bonne stratégie de communication, mêlant le online et le offline, est-elle la meilleure recommandation à faire à une marque de luxe sur le marché chinois ?
La Chine est un pays très digitalisé, comme l’est tout le parcours de consommation. La pandémie de COVID-19 a encore accentué cet état de fait. Mais il ne faut plus se poser la question de choisir entre digital, offline ou physique. Il faut proposer la meilleure expérience client au consommateur. Cette ligne directrice est à la base de toutes les idées créatives, à l’origine de la conception de toutes les campagnes. On cherche à capturer l’audience là où elle se trouve. La tendance est aujourd’hui de proposer une expérience physique. Le « touchpoint » est digital, mais les consommateurs qu’on atteint en ligne sont invités à participer à un happening, à aller à la rencontre d’une star ou de leur égérie préférée, ou tout simplement à se rendre dans un pop-up store. Alibaba s’est aussi engagé dans la voie du « New Retail », en lançant les Hama Stores, un concept d’épiceries de nouvelle génération ou l’expérience physique et l’achat en ligne sont étroitement connectés, pour le confort et la facilité côté consommateur.
Dans de nombreux pays d’Europe, la tradition autour d’une marque est une valeur importante: historique, savoir-faire générationnel, etc, Ces valeurs ont-elles une signification pour la GenZ en Chine ou est-ce plutôt le design et l’actualité de la mode qui prévalent ?
La notion de tradition et d’héritage est primordiale pour les chinois, même chez les jeunes. En Chine, l’héritage a beaucoup souffert de la modernisation et les traditions ont perdu de leur visibilité. L’histoire de la Chine est extrêmement riche mais l’époque moderne a été marquée par des périodes difficiles. Avec l’essor économique et social actuel, il y a chez la plupart des chinois une véritable convoitise, presque une obsession, pour les produits de luxe. La nouvelle génération n’est pas qu’une génération « digital native », elle est également « technology native ». Les produits technologiques sont aussi fortement convoités.
Jusqu’à il y a quelques années, les grandes marques horlogères suisses s’intéressaient avant tout aux touristes chinois en visite en Suisse. Cette tendance s’est inversée du côté des chinois, qui préfèrent dorénavant acheter chez eux. Comment les marques suisses doivent-elle accompagner cette évolution ?
Avant la pandémie, les marques horlogères et les détaillants comptaient beaucoup sur le tourisme provenant de Chine. Il suffisait en quelque sorte de bien préparer son magasin, d’engager du personnel parlant le mandarin et cela fonctionnait. L’achat de montres était d’ailleurs une partie de l’objectif du voyage des touristes chinois. Des « incentives » ont été mis en place en Chine pour encourager les consommateurs à acheter sur place. Cette tendance s’est renforcée avec la pandémie et cela prendra des années jusqu’à ce que le tourisme chinois retrouve son niveau d’avant la pandémie.
De ce fait, les marques horlogères suisses doivent adapter leur stratégie aux habitudes du marché chinois: accentuer leur présence digitale en Chine, y compris sur les réseaux sociaux; développer leur propre plateforme de vente online ou assurer une présence sur des plateformes existantes. Certaines de ces plateformes possèdent d’ailleurs déjà des sections « luxe ». Pour les marques qui n’ont pas de point de vente, physique ou digital, les ventes seront difficiles. Si le potentiel s’avère suffisant, l’ouverture de points de contact physiques est importante, par exemple dans des pop-up stores, car investir dans l’installation d’un point de vente propre peut s’avérer cher et risqué. Dans les grandes agglomérations (Tier 1 et Tier 2), l’environnement concurrentiel est déjà très élevé. Les agglomérations plus petites (Tier 3 et Tier 4) offrent un excellent potentiel. La concurrence y est moindre et les consommateurs très intéressés par les marques traditionnelles.
Les consommateurs chinois n’ont-ils pas peur des contrefaçons lorsqu’ils achètent des produits de luxe sur internet ?
Les contrefaçons existent et existeront toujours, mais le marché pour les copies est un marché bien à part. C’est presque un marché parallèle. Sur les grands canaux de vente en ligne, y compris sur WeChat, il y a une assurance que la provenance des articles est officielle car les marques qui s’y trouvent doivent être certifiées. C’est une garantie pour le consommateur.
Hormis les biens de consommation, la GenZ – dans les tranches d’âge les plus élevées, par exemple les plus de 20 ans – est-elle réceptive aux produits financiers, aux placements dans un but de prévoyance et à la construction de son avenir financier ?
Pas encore. Les jeunes chinois n’ont que peu de connaissances et de sensibilité sur ce genre de produits, cela ne figure pas dans le cadre de leurs préoccupations. C’est un peu différent chez les générations plus âgées. Les chinois investissent avec la perspective de gagner de l’argent, pas pour leur prévoyance. Si les jeunes dépensent tout ce qu’ils gagnent, c’est qu’ils ont une très grande confiance dans leur avenir: ils savent que leur pays est politiquement stable, que l’économie monte en puissance, que leur avenir est certain. Ils vont recevoir de l’argent de leur famille, ils vont trouver un bon job, ils vont réussir dans la vie.
Cette étude fera l’objet d’une présentation détaillée dans le cours des mois à venir. Pour en recevoir d’ores et déjà une synthèse, suivez ce lien.